7

Je m’assis près de Cynthia à la table de la cuisine. En posant une main sur la sienne, je m’aperçus qu’elle tremblait.

– Bon, essaie de te rappeler ses paroles exactes.

– Il a dit…, commença-t-elle.

Comme les mots se bousculaient dans sa bouche, elle se mordit la lèvre, et ajouta :

– Bon, attends une minute. Le téléphone a sonné, reprit-elle après s’être ressaisie, j’ai dit : « Allô ? » et il a demandé : « C’est bien Cynthia Bigge ? » Qu’il m’appelle comme ça m’a fait un choc, mais j’ai répondu oui. Alors il a dit, je n’arrivais pas à y croire, il a dit : « Votre famille, ils vous pardonnent. » Cynthia fit une pause, puis ajouta : « Pour ce que vous avez fait. » Je ne savais pas quoi dire. Je crois lui avoir demandé qui il était, de quoi il parlait.

– Et qu’est-ce qu’il a répondu ?

– Rien. Il a raccroché.

Une larme solitaire coulait sur sa joue tandis qu’elle me regardait droit dans les yeux.

– Pourquoi dire une chose pareille ? Qu’est-ce qu’il entend par « ils me pardonnent » ?

– Je ne sais pas. Ça doit être un cinglé. Un cinglé qui a vu l’émission.

– Mais pourquoi appeler pour sortir ce genre de chose ? Quel est l’intérêt ?

Je saisis le téléphone. C’était le seul modèle un peu sophistiqué que nous avions dans la maison, équipé d’un petit écran où s’affichait le numéro des correspondants.

– Pourquoi dire que ma famille me pardonne ? répéta Cynthia. De quoi m’accusent-ils ? Je ne comprends pas. Et s’ils pensent que je leur ai fait quelque chose, pourquoi m’annoncer qu’ils me pardonnent ? Tout ça ne tient pas debout, Terry.

– Je sais. C’est aberrant, admis-je en observant le téléphone. Tu as vu d’où venait l’appel ?

– J’ai regardé, mais il n’y avait rien sur l’écran, alors, quand il a raccroché, j’ai essayé de retrouver le numéro.

Je pressai le bouton pour faire défiler l’historique. Aucun appel n’avait été enregistré au cours des dernières minutes.

– Il n’y a rien.

Cynthia renifla, essuya la larme sur sa joue, puis se pencha à son tour sur l’appareil.

– Je l’ai peut-être… Attends, comment j’ai fait ? Quand j’ai voulu vérifier d’où venait l’appel, j’ai appuyé sur ce bouton pour le sauvegarder.

– Et du coup, tu l’as effacé.

– Quoi ?

– Tu as effacé le dernier appel enregistré.

– Et zut ! s’exclama Cynthia. J’étais tellement énervée, tellement bouleversée, je ne savais pas ce que je faisais.

– Je comprends. Bon, cet homme, il semblait comment ?

Je devinai à son regard absent qu’elle n’avait pas entendu ma question.

– Comment j’ai pu faire ça ? Effacer le numéro ! N’empêche que l’écran n’affichait rien. Tu sais, comme quand ça indique « numéro inconnu ».

– Bon, laisse tomber, tant pis. Mais cet homme, essaie de me décrire sa voix.

Cynthia leva les mains en un geste d’impuissance.

– Un homme normal. Sa voix était plutôt basse, un peu comme s’il cherchait à la déguiser, tu vois ? Mais rien de vraiment particulier.

Elle s’interrompit, puis son regard s’éclaira.

– Et si on appelait la compagnie de téléphone ? Ils doivent avoir une trace de l’appel, peut-être même un enregistrement.

– Contrairement à ce que pensent pas mal de gens, les communications des abonnés ne sont pas enregistrées. Et puis, comment veux-tu qu’on présente la chose ? C’est un appel isolé, sans doute un cinglé qui a vu l’émission. Il ne t’a pas menacée, ni parlé de façon obscène.

Je passai un bras autour de ses épaules avant d’ajouter :

– Ne t’inquiète pas trop pour ça. Beaucoup de monde sait ce qui t’est arrivé, maintenant. Ça fait de toi une sorte de cible. Tu sais ce qu’on pourrait essayer de faire ?

– Quoi donc ?

– Prendre un numéro sur liste rouge. Ça nous éviterait ce genre d’appel.

Cynthia secoua énergiquement la tête.

– Non, pas question de faire ça.

– Écoute, je ne pense pas que ce soit tellement plus coûteux et de plus…

– Non, on ne le fera pas, Terry.

– Pourquoi pas ?

Elle déglutit avant de répondre.

– Parce que, quand ils seront prêts, quand ma famille décidera enfin de me contacter, ils doivent pouvoir me joindre.

Comme il me restait du temps libre après le déjeuner, je quittai le lycée, pris la voiture pour traverser la ville, et entrai chez Pamela’s les mains encombrées de quatre gobelets de café.

Ce n’était pas à proprement parler une boutique de luxe, et Pamela Forster, autrefois la meilleure amie de lycée de Cynthia, ne visait pas une clientèle jeune et branchée. Les rayons alignaient des tenues franchement classiques, le style de vêtements qu’appréciaient, disions-nous en riant, Cynthia et moi, les femmes qui portaient des chaussures pratiques et confortables.

Cyn se trouvait au fond de la boutique, près d’une cabine d’essayage, et s’adressait à une cliente à travers le rideau :

– Vous voulez l’essayer en 38 ?

Elle ne me vit pas entrer, mais Pam, debout derrière la caisse, me salua en souriant. Grande, mince, avec de petits seins, elle était perchée sur des talons aiguilles. La coupe de sa robe turquoise à mi-genoux laissait penser qu’elle ne provenait pas de son propre stock. Ce n’était pas parce qu’elle s’adressait à une clientèle qui ne feuilletait jamais le magazine Vogue qu’elle-même devait s’habiller comme un sac.

– Comme c’est gentil, s’exclama-t-elle en regardant les gobelets de café. Mais pour l’instant, Cyn et moi gardons le fort toutes seules. Anne est partie en pause.

– Il sera peut-être encore chaud à son retour.

Pamela versa des sucrettes dans un des cafés.

– Comment ça va ?

– Bien, répondis-je.

– Cynthia dit qu’il n’y a eu aucune nouvelle de l’émission ?

Décidément, tout le monde ne parlait que de ça ! Lauren Wells, Grace, et maintenant, Pamela Forster.

– En effet.

– Moi, je lui avais conseillé de ne pas la faire, déclara Pam, hochant la tête d’un air entendu.

– Ah bon ?

Première nouvelle.

– Oh, il y a longtemps. La première fois que la chaîne l’a contactée. Je lui ai dit : « Ma chérie, il ne faut pas réveiller le chat qui dort. Aucun intérêt de remuer tout ce passé. »

– Tiens donc.

– Je lui ai dit : « Écoute, ça fait vingt-cinq ans, d’accord ? Ce qui est arrivé est arrivé. Peu importe quoi, après tout. Si tu ne peux pas aller de l’avant alors qu’il a coulé tant d’eau sous les ponts, tu en seras où, dans cinq, dix ans ? »

– Elle ne m’en a jamais parlé.

Cynthia avait fini par nous apercevoir en train de bavarder, mais malgré un signe de la main, elle resta postée près de la cabine d’essayage.

– La nana là-dedans, qui essaie d’enfiler des trucs trop petits pour elle, chuchota Pam, elle est déjà sortie d’ici avec des fringues sans payer, alors on l’a à l’œil. Elle bénéficie d’un service personnalisé.

– Elle pique dans les magasins ? Si elle a volé, pourquoi ne pas la faire arrêter ? Pourquoi la laisser revenir ici ?

– On ne peut rien prouver. On a juste des soupçons. On lui fait comprendre qu’on est au courant, sans rien dire.

J’imaginai la femme dans la cabine. Jeune, un peu vulgaire, plutôt sûre d’elle. Le genre de personne qu’on désignerait comme voleuse parmi une rangée de suspectes, peut-être un tatouage sur l’épaule, ou…

Le rideau glissa sur la tringle, et une petite femme trapue, la quarantaine bien tassée, sortit en tendant plusieurs vêtements à Cynthia. Si j’avais dû la cataloguer, j’aurais dit qu’elle me faisait penser à une bibliothécaire.

– Je n’ai rien trouvé qui me plaise aujourd’hui, déclara-t-elle poliment avant de quitter la boutique.

– Elle, une voleuse ?

– Catwoman en personne, me confirma Pamela.

Cynthia nous rejoignit, et m’embrassa sur la joue.

– Pause café ? Que nous vaut l’honneur ? demanda-t-elle.

– J’avais un peu de temps libre, alors voilà.

Pamela s’excusa, puis emporta son gobelet au fond de la boutique.

– C’est à cause de ce matin ? reprit Cynthia.

– Tu semblais un peu secouée après ce coup de fil. J’avais envie de savoir si ça allait, c’est tout.

– Ça va, déclara-t-elle sans grande conviction avant d’avaler une gorgée de café. Ça va bien.

– Pam m’a raconté qu’elle avait cherché à te dissuader de participer à Deadline.

– Tu n’étais pas très chaud non plus.

– Mais tu ne m’as jamais dit qu’elle te l’avait déconseillé.

– Tu sais bien que Pam adore donner son avis sur tout. Elle pense aussi que tu pourrais perdre trois kilos, par exemple, ajouta Cynthia.

Subtile manière de me déstabiliser…

– Quand je pense que cette femme, dans la cabine, est une voleuse, on ne le croirait pas !

– On ne sait jamais vraiment, avec les gens, répliqua Cynthia en buvant une nouvelle gorgée de café.

C’était le jour de notre rendez-vous avec le Dr Naomi Kinzler, après le travail. Cynthia déposa Grace chez une copine. Cela faisait quatre mois que nous voyions le Dr Kinzler une semaine sur deux, sur recommandation de notre médecin de famille. Celui-ci avait tenté, sans succès, d’aider ma femme à surmonter ses angoisses et pensait que parler à quelqu’un lui ferait plus de bien – nous ferait à tous deux plus de bien – que de lui prescrire des médicaments.

Dès le départ, je m’étais montré sceptique sur l’éventuelle efficacité de la psychothérapie, et une dizaine de séances ne m’avaient pas convaincu davantage. Le cabinet du Dr Kinzler se trouvait dans un centre médical à l’autre bout de Bridgeport, donnant sur la barrière de péage. Sauf lorsqu’elle fermait les persiennes, comme c’était le cas ce jour-là. Je suppose qu’elle avait remarqué lors des séances précédentes que je regardais par la fenêtre, m’évadais en comptant les camions.

Tantôt le Dr Kinzler nous recevait ensemble, tantôt l’un de nous sortait pour laisser l’autre en tête-à-tête.

Je n’étais jamais allé chez un psy avant. En gros, ce que j’en savais, je l’avais appris dans le feuilleton Les Soprano, où le Dr Melfi aide Tony à résoudre ses problèmes. J’étais incapable de dire si les nôtres étaient plus graves que les siens. Les gens disparaissaient également autour de Tony, mais c’était souvent à cause de lui. Il avait donc l’avantage de savoir ce qui leur était arrivé.

Naomi Kinzler ne ressemblait guère à Jennifer Melfi. Elle était petite, rondouillarde, avec une abondante chevelure grise tirée en arrière. À mon avis, elle frisait les soixante-dix ans, et pratiquait depuis suffisamment longtemps pour avoir trouvé le moyen d’éviter que la souffrance d’autrui ne la travaille.

– Alors, quoi de neuf depuis notre dernière séance ?

J’ignorais si Cynthia comptait lui parler du coup de fil tordu de la matinée. Pour ma part, d’une certaine façon, je n’en avais pas envie. Je ne trouvais pas cela si important, et il me semblait que nous avions plutôt calmé le jeu pendant ma visite à la boutique. Aussi répondis-je en devançant ma femme :

– Tout va bien. Tout va très bien.

– Et Grace ?

– Grace va bien aussi. Je l’ai accompagnée à l’école ce matin. On a eu une bonne discussion tous les deux.

– A propos de quoi ? demanda Cynthia.

– Rien de particulier. On a bavardé, c’est tout.

– Elle vérifie toujours le ciel chaque soir ? enchaîna le Dr Kinzler. Pour voir s’il y a des météorites ?

Je balayai la remarque d’un geste.

– Oui, mais ce n’est pas grave.

– Vous croyez ? lança la psychothérapeute.

– Bien sûr. Elle s’intéresse au système solaire, à l’espace, aux autres planètes, c’est tout.

– Mais vous lui avez acheté un télescope.

– Évidemment.

– Parce qu’elle craint qu’un astéroïde ne détruise la Terre, me rappela le Dr Kinzler.

– D’abord, ça l’aide à surmonter ses craintes, et en plus ça lui permet d’observer les étoiles. Ainsi que les voisins, je crois bien, ajoutai-je en souriant.

– Concernant son niveau d’angoisse global, diriez-vous qu’il augmente ou qu’il s’atténue ?

– Il s’atténue, dis-je.

– Il augmente, dit Cynthia en même temps.

Le Dr Kinzler haussa légèrement les sourcils.

Je détestais cela.

– Je la trouve toujours aussi angoissée, reprit Cynthia en me jetant un regard sévère. Elle est très fragile, par moments.

La psy hocha pensivement la tête. Puis s’adressa à Cynthia :

– Pourquoi, à votre avis ?

Ma femme n’était pas stupide. Elle savait où le Dr Kinzler voulait en venir. Ce n’était pas la première fois.

– Vous pensez que je déteins sur elle ?

Après un imperceptible haussement d’épaules, la thérapeute lui retourna la question :

– Et vous, qu’en pensez-vous ?

– J’essaie de ne pas m’inquiéter devant elle, répondit Cynthia. Nous évitons certains sujets en sa présence.

Je dus grogner ou renifler, ce qui attira leur attention.

– Oui ? me demanda le Dr Kinzler.

– Elle sait. Grace en sait beaucoup plus qu’elle ne le prétend. Elle a vu l’émission.

– Quoi ? s’exclama Cynthia.

– Elle l’a regardée chez une copine.

– Qui ? Je veux son nom !

– Je ne sais pas. Et je ne vois pas l’intérêt de lui arracher ce nom de force. C’est une image, bien sûr, ajoutai-je à l’intention du Dr Kinzler.

Cynthia se mordait les lèvres.

– Grace n’est pas prête. Elle n’a pas besoin de connaître toute cette histoire. Pas maintenant. Il faut la protéger.

– C’est une des difficultés majeures du rôle de parent, déclara la psychiatre. Admettre qu’on ne peut jamais protéger son enfant de tout.

Durant un moment, Cynthia digéra la remarque, puis elle lança :

– Il y a eu un coup de téléphone.

Et elle rapporta, presque mot pour mot, l’appel qu’elle avait reçu. Le Dr Kinzler lui posa à peu près les mêmes questions que moi. Si elle avait reconnu la voix, si l’homme avait déjà téléphoné auparavant, ce genre de choses.

– Selon vous, que voulait dire cet homme en affirmant que votre famille vous pardonnait ? demanda-t-elle ensuite.

J’intervins :

– Rien du tout. C’était un cinglé.

La psy me jeta un regard qui me signifiait : « Fermez-la. »

– Je n’arrête pas de repenser à cette phrase, répondit Cynthia. Me pardonner quoi ? De ne pas les avoir retrouvés ? De ne pas avoir fait plus d’efforts pour découvrir ce qui leur était arrivé ?

– Difficile d’en attendre autant de votre part, remarqua le Dr Kinzler. Vous n’étiez qu’une enfant. À quatorze ans, on est encore un enfant.

– Ou bien je me demande s’ils pensent que je suis à l’origine de ce qui s’est passé ? Qu’ils sont partis à cause de moi, par ma faute. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour qu’ils me quittent en plein milieu de la nuit ?

– Une partie de vous persiste à vous croire responsable, d’une manière ou d’une autre, avança la thérapeute.

– Écoutez, objectai-je avant que Cynthia réponde. C’était l’appel d’un cinglé. Des tas de gens ont regardé l’émission. Rien d’étonnant à ce que quelques tarés se manifestent, non ?

Le Dr Kinzler poussa un petit soupir avant de me dire :

– Terry, c’est peut-être le moment de nous laisser, Cynthia et moi, parler seule à seule.

– Non, ce n’est pas la peine, assura ma femme. Il peut rester.

– Terry, reprit la psy, d’un ton si contenu que je devinais à quel point elle était énervée. Bien sûr, ce coup de fil peut provenir d’un cinglé, mais les paroles de cet homme ne risquent pas moins de déclencher des émotions en Cynthia, et analyser sa réaction à ces émotions l’aidera à assumer tout ça.

– Assumer quoi exactement ? demandai-je, et ce, en toute sincérité, sans chercher à ergoter. Je suis sérieux, là, il me semble que l’objectif m’échappe un peu, en ce moment.

– Nous essayons d’aider Cynthia à surmonter un traumatisme de son enfance qui se répercute sur le présent, non seulement pour son propre équilibre, mais pour l’équilibre de votre relation à tous deux.

– Notre relation est parfaite.

– Il ne me croit pas toujours, lâcha Cynthia.

– Comment ça ?

– Tu ne me crois pas toujours, répéta-t-elle. Par exemple, quand je t’ai parlé de la voiture marron. Tu penses que c’est une coïncidence. Ou bien, quand cet homme a téléphoné ce matin. Comme tu n’as pas retrouvé la trace de l’appel dans l’historique de l’appareil, tu te demandes s’il a vraiment existé.

– Je n’ai jamais dit ça. Ce n’est pas vrai, je n’ai jamais dit une chose pareille.

Je m’étais tourné vers le Dr Kinzler, comme si elle était juge et que moi j’étais un accusé désespéré cherchant à prouver son innocence.

– Mais je sais que tu l’as pensé, affirma Cynthia, d’une voix cependant dénuée de colère, en me touchant le bras. Et franchement, je ne te le reproche pas. Je suis consciente de l’état dans lequel je suis. Si difficile à vivre. Pas seulement ces derniers mois, mais depuis notre mariage. Cette histoire a toujours plané au-dessus de nos têtes. Je fais de mon mieux pour la repousser, la ranger au fond du placard, mais de temps à autre, c’est comme si j’en ouvrais la porte par erreur, et que tout dégringolait. Lorsque nous nous sommes rencontrés…

– Cyn, tu n’as…

– Lorsque nous nous sommes rencontrés, je savais que je te ferais supporter une partie de ma souffrance. Mais j’étais égoïste. Je voulais partager ton amour à tout prix, même si cela signifiait que tu devais partager ma douleur.

– Cynthia…

– Et tu as été si patient, Terry, vraiment. Je t’aime pour cela. Tu es sans aucun doute l’homme le plus patient du monde. Si j’étais à ta place, je finirais aussi par en avoir ras le bol de moi. Allez, il faut s’en remettre, pas vrai ? Ça remonte à si longtemps. Comme dit Pam, oublier enfin ce merdier.

– Je n’ai jamais rien dit de tel.

Le Dr Kinzler nous observait en silence.

– Eh bien, moi, je me le suis dit, répliqua Cynthia. Des centaines de fois. Et j’aimerais bien y arriver. Mais par moments, et je sais que ça va paraître complètement fou…

À mon tour, comme le Dr Kinzler, je gardai le silence.

–… par moments, je les entends. Je les entends parler, maman, mon frère. Papa. Je les entends aussi clairement que s’ils étaient dans la pièce avec moi. Ils me parlent.

Le Dr Kinzler fut la première à reprendre la parole :

– Et vous leur répondez ?

– Il me semble que oui.

– Cela vous arrive pendant que vous rêvez ?

Cynthia réfléchit un instant.

– C’est probable. Par exemple, je ne les entends pas en ce moment – elle eut un sourire triste – et je ne les ai pas entendus dans la voiture en venant.

Intérieurement, j’eus un soupir de soulagement.

– Alors oui, ça doit m’arriver en dormant, ou en rêvant éveillée. Mais c’est comme s’ils étaient là, autour de moi, essayant de me dire quelque chose.

– Qu’est-ce qu’ils essaient de vous dire ? l’encouragea la psy.

Cynthia me lâcha le bras, croisa les doigts sur ses genoux.

– Je ne sais pas. Ça dépend. Parfois, c’est juste pour parler. De rien en particulier. De ce que nous mangeons, de ce qu’il y a à la télé, de choses sans importance. Et d’autres fois…

Je devais donner l’impression d’être sur le point de dire quelque chose, car le Dr Kinzler me foudroya du regard. Mais non. J’avais ouvert la bouche par anticipation, me demandant ce que Cynthia allait ajouter. C’était la première fois que je l’entendais raconter que les membres de sa famille lui parlaient.

–… d’autres fois, il me semble qu’ils me demandent de les rejoindre, acheva-t-elle.

– De les rejoindre ? répéta la psy.

– Pour que nous soyons de nouveau une famille.

– Et que leur répondez-vous ?

– Que je voudrais bien, mais que je ne peux pas.

– Pourquoi ? demandai-je à mon tour. Cynthia me regarda dans les yeux, et sourit avec tristesse.

– Parce que là où ils sont, je ne pourrais pas vous emmener, Grace et toi.

Cette Nuit-Là
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